
Difficulté : Plutôt facile
Préparation : Longue
Quantités : Pour 4 personnes, à servir avec du pain
Ah, les plats mediévaux, avec leur profil souvent sucré salé et toutes ces épices. C'est dépaysant hein ?
Et bien pas toujours, en tout cas pour l'Asie et l'Afrique, et notamment l'Afrique du Nord. Parce que pour eux, à part quelques différences d'ingrédients, certains plat ont souvent très peu changé avec le temps, et c'est le cas du Mrouzia.
En effet, de nombreux tagines et autres ragoût conservent encore largement au Maghreb cette utilisation d'épices, et notamment du sucre comme une de ces épices. On suppose que les partages culturels des premières rencontres entre islam et chrétienté, surtout via l'Espagne, ont transformé la gastronomie européenne de cour et lui ont donné goût pour les ingrédients exotiques, à savoir à l'époque les agrumes, mais aussi et surtout pour les mélanges d'épices. C'est pour ça qu'aujourd'hui, en faisant goûter une limonia (un ragoût de poulet aux épices et au citron) à un maghrébin, il l'associera probablement à un plat de son enfance comme un tagine de poulet au citron confit et aux olives.
Du côté du Maghreb et jusqu'au Sud de la Turquie, on retrouve pour le coup assez souvent des plats ayant conservé leur nom et une bonne partie de leur préparation. C'est le cas du mrouzia, un tagine très associé à la cuisine marocaine. Il est pourtant répandu jusqu'en Tunisie, avec des noms parfois différents et quelques petites différences gustatives. Mais alors pourquoi le mettre dans les recettes médiévales, me direz-vous ? Premièrement, parce qu'on a des sources écrites assez claires sur la manière dont il était préparé, ce qui n'est pas si courant. Ensuite, parce que la recette en source est tout de même suffisamment différente d'un mrouzia classique pour que les deux recettes fonctionnent séparément.
La première source qu'on ait d'un tagine appelé "muruziyya" nous vient du XIIIème siècle, du Kitab al Tabikh de l'Anonyme Andalou. C'est une recette de poulet aigre-doux, où le sucre vient seulement des prunes déjà utilisées et dont l'utilisation restera constante. Le vinaigre y a une place plus importante que dans les recettes postérieur et le plat est donc probablement bien plus acide. C'est difficile de dire à quel point vu que les recettes de ce livre sont très sommaires, avec aucune quantité et très peu d'indications de préparation. A l'époque, le plat était réputé comme d'Afrique du Nord, et particulièrement d'Égypte. On se doute que pour arriver en Andalousie il a dû bien imprégner les cultures du Maghreb au passage.
Apparemment, l'acidité n'a pas plus à la longue puisque dès le XIVème siècle et notre recette en source, on peut ajouter du sucre et on réhydrate les prunes dans l'eau et non plus dans le vinaigre et l'huile. Ci dessous ma petite traduction de la traduction de Nawal Nasrallah. Ca vaut ce que ça vaut hein...
“Faire frire la viande avec les épices, et quand c'est fait, rajouter un 1/2 ratls d'eau. Quand l'eau bout, hâcher les oignons et les laver, une fois à l'eau salée et une autre fois à l'eau. Les ajouter à la viande et laisser mijoter jusqu'à ce que les oignons soient à moitié cuits. Ajouter les prunes séchées préalablement réhydratée dans de l'eau, puis ajouter les raisins et les jujubes de la même manière. Laisser mijoter jusqu'à ce que les prunes et les raisins soient cuits. Si vous le souhaitez, ajouter trois ūqiyyas de sucre, et laisser mijoter. Ajouter ensuite l'eau infusée de safran, laisser mijoter puis ajouter le vinaigre. Après que le tagine ait bien cuit, ajouter la menthe et l'atraf al-tib et laisser frémir. ”
Kanz al-Fawā’id fī Tanwī al-Mawā’id (Le Trésor de Conseils Utiles pour la Composition d'une Table Variée)
Les mots en gras sont des unités de mesures de l'époques adaptées par la recette en source. La viande n'y est plus précisé et on suppose qu'on utilisait alors déjà de l'agneau. Cette recette est intéressante car elle remet en cause deux affirmations relayées régulièrement quand on parle de l'histoire du mrouzia. On dit souvent qu'avant la période moderne on ne mettait pas d'oignons et qu'on y mettait du miel au lieu du sucre, que ce dernier est venu plus tard quand il était disponible. Pour les oignons, c'est tout à fait erroné puisque cette recette du XIVème siècle y a clairement recourt. Pour le miel, c'est plausible pour les ménages plus modeste jusqu'à la période industrielle, mais on ne sait pas vraiment si ce plat était répandu en dehors de la noblesse avant une période assez récente. Et pour nobles du XIVème en tout cas, le sucre était loin d'être inaccessible et il se retrouve aussi clairement dans la recette. Je trouve aussi intéressante l'utilisation de menthe séchée, un peu comme dans certaines recettes iraniennes ou turques.
L'autre mélange d'épices évoqué et très intéressant également, c'est l'atraf al-tib. C'est un mélange qui rassemble la plupart du temps de la cardamome, du gingembre, du poivre, du macis, des clous de girofle, du laurier et des pétales de roses séchés. C'est incroyablement aromatique et ça change des mélanges d'épices dont on a l'habitude, surtout grâce au macis et aux pétales de rose. C'était un mélange pas mal utilisé au Moyen-Age, à Baghdâd notamment, mais il est aujourd'hui presque totalement tombé en désuétude.
Le plat a continué à évoluer avec le temps et à prendre différents noms en fonction des régions.
On sait depuis la première recette du XIIIème que les amandes étaient utilisées et cuites avec les prunes. Dans la recette du XIVème siècle, elles disparaissent totalement. Aujourd'hui, au Maroc, on les utilise mais seulement en les faisant torréfier à part pour décorer le plat et ajouter du croquant. On y fait aussi souvent cuire les fruits à part pour qu'ils gardent leur forme et soient plus présentables. En Tunisie, les amandes sont encore parfois cuites avec le reste mais on y remplace souvent les pruneaux et les raisins par des châtaignes et des pois-chiches. Les jujubes, très utilisées dès le début, ont finalement été apparement abandonnées partout pour ne garder que les autres fruits secs. Et rien qu'au Maroc, la communauté juive et les habitants de Rabat l'appelle plutôt "m'assal", "le mielleux". Dans les montagnes du Rif au Nord, le "tahlia" en est une version avec du samt, de la molasse de raisin a la place des raisins secs. On évoque aussi parfois que le plat était fait à l'origine pour être proche d'un confit afin de le conserver longtemps, et que seuls les restes de viandes, les os avec de la chair principalement, étaient utilisés. Ce n'est pas mentionné dans les recettes médiévale mais si le plat est devenu populaire avant l'industrialisation, comme pour le miel, ça semble plausible. En tout cas, plusieurs recettes de nos jours ont tendance à être assez aqueuses.
Bref, c'est un plat qui a énormément évolué tout en restant globalement assez constant dans les saveurs qu'il développe, et je trouvais ça assez chouette de pouvoir refaire une de ses premières versions.
Ingrédients
- Une dizaine de pistils de safran
- 3 càs d'eau chaude + de l'eau chaude pour réhydrater les fruits séchés
- 2 càs d'eau froide
- 1 càc de curcuma moulu
- 1 càc de ras-el-hanout
- 1 càc de gingembre moulu
- 1/2 càc de cannelle moulue
- 1/2 càc de coriandre moulue
- 1/2 càc de poivre noir fraichement moulu
- 1 càc de sel
- 3 càs d'eau
- 1kg de viande d'agneau os inclus
- 3 càs de beurre clarifié ou du smen
- 125 g de pruneau ou de prunes séchées
- 2 oignons
- 75 g de raisins secs
- 60 ml de vinaigre de vin blanc
- 50 g de jujubes séchées
- 1 càc de menthe séchée
- 1 càc d'atraf-al-tib
- 60 g de sucre de canne (de préférence en bloc brut à râper, le moins raffiné possible en tout cas)
Réalisation
- Faire infuser le safran dans les 3 càs d'eau chaude et mélanger à côté le curcuma, le ras-el-hanout, le gingembre, la cannelle, la coriandre, le poivre et le sel. Ajouter au mélange les 3 càs d'eau froide pour faire une marinade.
- Découper la viande en 4 gros morceaux et les recouvrir de la marinade avant de réserver au frigo pendant au moins 30 minutes.
- Pendant ce temps, éplucher et découper les oignons en brunoise et réhydrater les pruneaux, jujubes et raisins dans l'eau chaude.
- Dans un tagine sur feu vif, marquer la viande en cuisson dans le beurre clarifié pour la colorer de chaque côté avant de la réserver de nouveau.
- Baisser le feu d'un cran, déglacer avec le vinaigre et ajouter les oignons. Lorsqu'ils sont translucides, baisser à feu doux et y remettre la viande avant de couvrir.
- Egouttez les raisins, jujubes et pruneaux et les ajouter au tajine avec le sucre et l'eau infusée au safran. Garder les pistils égouttés pour plus tard. Ajouter également l'atraf-al-tib et la menthe.
- Laisser cuire pendant au moins 2 heures en vérifiant régulièrement que ça n'accroche pas au fond. Rajouter du beurre clarifié si c'est le cas. Il faut qu'il n'y ait plus d'eau et que le plat ait la texture d'un confit.
- Servir surmonté des pistils de safran et avec du pain.

صحة و عافية, sihat w eafia
"Santé et bien-être" en égyptien, une des manière de dire bon appétit.
Source : Première fois dans cette catégorie, la recette de Max Miller du site et de la chaine Youtube Tasting History, recette elle-même adaptée de la traduction de Nawal Nasrallah. J'ai fait quelques modifications minimes et je n'ai pas mis d'amandes effilées comme lui puisque, comme il le dit lui même, c'est un ajout récent.
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