
Difficulté : Intermédiaire
Préparation : Assez longue
Quantités : Pour 6 personnes
Bon, commençons par une traduction. "Tigua dégué na" signifie "sauce aux arachides" en mandingue. Les mandingues, où malinkés, forment un peuple à l'origine, notamment, de l'Empire du Mali au XIIIème siècle. C'est l'état le plus riche du monde au XIVème siècle grâce à ses mines d'or. Il englobe alors la quasi-intégralité du Sénégal et de la Gambie, la majorité du Mali ainsi qu'une partie de la Guinée et du Niger.
On comprendra donc qu'un plat sénégalais au nom bien plus connu comme le mafé soit très proche si ce n'est parfois identique au tigua degue na.
Les deux pays ayant fait régulièrement parti d'un même bloc jusqu'au XXème siècle, et les ethnies débordant largement des frontières coloniales, leurs traditions culinaires sont assez similaires, tout comme de celles des pays voisins. Le Sénégal et le Mali se disputent encore régulièrement la paternité du plat sans qu'on puisse vraiment trancher. Je me permet de le classer ici pour trois raisons. D'abord, parce que le tigua dégué na est souvent présenté comme le plat national malien. Ensuite, parce que je trouve déjà la cuisine sénégalaise très diversifiée au vu de la taille du pays et que je pense qu'ils ont de quoi remplacer la perte d'un plat. Le dakhine, par exemple, est très interessant et est constitué des mêmes bases que le mafé. Enfin, parce que la tradition du plat, les ingrédients majoritaire et la place centrale du Mali au niveau historique m'incline (très) sensiblement vers une origine dans ce coin.
On évitera pourtant de conclure que le mafé ou tigua dégué na est un plat qui remonte à ce fameux Empire du Mali. En effet, l'ingrédient phare du plat, la pâte d'arachide, ne peut remonter au maximum qu'à la seconde moitié du XVIème siècle. C'est à ce moment que les Portugais, y introduisent l'arachide. On suppose que les ethnies mandingues préparaient déjà un plat avec une pâte de graine oléagineuse appelée "pois bambara" (les bambaras étant une sous ethnie ou une ethnie à part entière associée aux mandingues). Cependant rien de sûr et le plat pouvait très bien être à mille lieux d'un mafé, d'autant plus que la tomate n'a probablement pas dû être vraiment incluse dans l'alimentation avant le XIXème siècle.
Mais un tigua dégué na ou mafé, c'est quoi au juste ?
C'est avant tout une sauce tomate à la pâte d'arachide donc, qui enrobe des morceaux de viande et des légumes. Après ça, il existe une multitude de types de viandes utilisées ou d'association avec différents légumes. Pour la viande, le plus "traditionnel" est le bœuf, parfois le mouton. En France, on a plus l'habitude de voir du mafé au poulet mais, si ça reste très bon, j'ai le même avis qu'une des sources et je trouve que ce n'est pas la viande la plus adaptée. Il existe aussi des versions au poisson. Au Sénégal, on rajoute parfois au mafé du yet et du guedj (un mollusque et un poisson fermentés) pour rajouter du goût. Au Mali on y met parfois du soumbala, un condiment au goût complexe à base de graines fermentées de néré.
Pour les légumes, il y a à peu près tout ce qu'on veut y mettre. Les plus courants sont l'oignon la patate, patate douce, le chou, la carotte, l'aubergine, le poivron ou le navet, mais on y met aussi des ingrédients moins courants en France comme le manioc, le gombo ou l'aubergine africaine.

Une version de mafé au poulet qui a cuit de manière un peu trop groupée...

La texture finale, sans ajout autre que du sel
Bon, ok, mais c'est quoi un bon mafé ? Alors en dehors de la qualité évidente des légumes et de la viande, le vrai point sensible est la pâte d'arachide. Et je dis bien pâte d'arachide et non beurre de cacahuètes.
Le beurre de cacahuètes est une tartinade, parfois sucrée, inventée au Canada, adoptée au États-Unis et diffusée progressivement au reste du monde. Les cacahuètes sont légèrement torréfiées et la pâte va du jaune pâle à l'orangé. C'est très bon avec le sucré comme les cookies mais ça ne fonctionne pas vraiment avec les ragoûts où son goût pas assez puissant est dilué, même avec du "100% cacahuètes".
La pâte d'arachide est faite avec des cacahuètes bien plus torréfiées et la pâte est marron clair à marron foncée. Le goût est plus fort et persistant et même avec une qualité médiocre ça fonctionnera toujours mieux que le meilleur beurre de cacahuètes, malgré ce que dit une des sources. J'ai essayé.
C'est par contre plus difficile à trouver et à part la Dakatine, Bonmafé ou PCD qui ne se trouvent souvent qu'en épicerie spécialisée, il n'y a pas grand chose et ça peut être décourageant.
Heureusement, ce qui se trouve partout ce sont les cacahuètes et la pâte se prépare très bien avec et très facilement. C'est juste un peu contre-intuitif parce que tout ce que ça nécessite c'est un peu de temps, un mixeur puissant, un four ou une poêle sur un feu et...des cacahuètes. Pas d'huile, d'eau ou autre, l'huile naturelle des cacahuètes va progressivement être extraite en mixant et le tout va devenir petit à petit plus liquide. On peut prendre des cacahuètes grillées et salées ou pas, de toute façon il faudra les retorréfier un peu et, si elles ne le sont pas, les saler. Le plus simple, c'est une dizaine de minutes au four a 180°, en remuant une fois au bout de 5 minutes et en surveillant. Quand elles brunissent, c'est bon. Il ne reste plus qu'à les mixer en étant patient, quite à faire des pauses si ça chauffe trop, jusqu'à ce qu'elles soient liquides comme du chocolat fondu. C'est là qu'on goûte et qu'on ajoute, si besoin, du sel.
Et à part la pâte d'arachide, la seule difficulté est le respect de cuisson des ingrédients. On laisse cuire par exemple la viande de bœuf u moins 3 heures à feu doux (et pas 90 minutes comme le dit une des sources), le mouton peut cuire moins longtemps mais support une telle durée mais le poulet ne doit pas dépasser une heure. On évite aussi de laisser trop cuire ensemble des légumes à dureté différentes au risque que certains soient en bouilli quand d'autres manquent de cuisson, comme le manioc qui cuit assez vite et les carottes par exemple.
Comme ça se voit sur la photo d'une de mes premières versions au poulet, en laissant tout cuire en même temps on va finir avec une purée de légumes pas uniforme aux morceaux de viande. Alors une purée très goûteuse hein, c'est juste que ce ne sera plus vraiment un tiga dégué. Bon, tant que goût est là après tout...
D'ailleurs, petite anecdote finale mais la première fois que j'ai fait du mafé, le goût ça m'a rappelé vaguement un souvenir d'enfance sans que je puisse mettre le doigt dessus. Et puis à un apéro, on nous a servi des croustilles de cacahuètes à la tomate. Et bingo, c'était ça, ce souvenir, l'odeur de la cacahuète et de la tomate en même temps. C'est drôle la mémoire olfactive parfois. Après, si on me donne le choix entre les croustille et le mafé, j'ai beau adorer les croustilles, la comparaison s'arrête là et le choix est vite fait !
Ingrédients
- 500g de viande de bœuf gélatineuse (pâleron ou macreuse)
- 500g de viande de mouton ou d'agneau avec os
- 4 càs d'huile neutre
- 500ml de bouillon de bœuf
- 4 feuilles de laurier
- 10 gousses d'ail
- 2 piments oiseaux (optionnel)
- 2 cébettes (ou du thym et du persil en fonction de la saison)
- 1 càs de gros sel
- 1 càs de poivre noir
- 1 càc de cumin
- 1 càc de clous de girofle
- 1 boule de soumbala (si dispo)
- 250g de concentré de tomates
- Un piment antillais (optionnel)
- 4 oignons
- 6 carottes
- ¼ de chou (blanc ou vert)
- 1 courgette (optionnel en fonction de la saison)
- 1 patate douce assez épaisse d'environ 20cm
- 1 racine de manioc de la taille et de l'épaisseur d'un avant bras environ
Réalisation
- Découper la viande en morceaux d'environ 5cm.
- Dans une grande cocotte chauffée à feu vif jusqu'à ce qu'elle fume légèrement, verser 4 càs d'huile neutre et faire revenir le bœuf pour le faire dorer de tous les côtés.
- Faire pareil avec la viande de mouton ou d'agneau, puis déglacer avec un peu de bouillon.
- Éplucher et émincer les oignons avant de les rajouter au bouillon presque entièrement réduit.
- Une fois les oignons translucides, baisser à feu doux et remettre le bœuf. Couvrir du reste du bouillon et laisser cuire une heure. (Si vous voulez faire la pâte d'arachide maison, c'est le moment).
- Rajouter le mouton ou l'agneau, le concentré de tomates, le laurier, le soumbala puis couvrir avec de l'eau si besoin et laisser cuire une heure de plus.
- Pendant ce temps, dans un grand mortier, pilonner le poivre, les piments oiseaux (optionnels), la girofle, le cumin et le gros sel. Y ajouter petit à petit l'ail et les cébettes ou le persil émincé et pilonner jusqu'à obtenir une pâte épaisse. Ajouter le nokoss ainsi obtenu dans la cocotte.
- Diluer la pâte d'arachide dans un saladier avec quelques louches du bouillon et l'ajouter à la cocotte. Laisser cuire le ragoût et préparer le riz en parallèle.
- Au bout de 2h30 de cuisson du bœuf, éplucher et découper grossièrement les carottes et les ajouter avec le quart de chou piqué de cure-dents (pour éviter qu'il ne se désagrège dans le bouillon). Découvrir pour que la sauce réduise un peu.
- Au bout de 3h30 de cuisson du bœuf, vérifier que les carottes commencent à s'attendrir. Éplucher et ajouter le manioc, la patate douce et la courgette. Ajouter le piment antillais sur le dessus. Si on veut la saveur du piment sans trop de piquant, c'est cette étape qu'il faut privilégier, en surveillant que le piment ne se perce pas ni n'éclate avec la chaleur (peu de risque en 30minutes).
- Après 4h00, vérifier la cuisson des patates douces avec une lame. Si elles sont tendres, c'est prêt. Retirer le piment.
- Servir sur le riz, à côté du riz ou, comme sur la photo, en démoulant le riz depuis un bol sur la sauce.

i ni dumuni
"Bon appétit" en bambara
Sources : Un mélange de la chouette recette d'Africa Cuisine, de l'intéressante recette du site BMK Paris et de la vidéo très instructive de la chaine 2CGM.
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